La vitesse à laquelle les crises se succèdent et se chevauchent actuellement est impressionnante, elle donne même le tournis. Un sentiment d’abandon, de perte de contrôle sur sa propre vie se répand. Les appels permanents du monde politique à la « responsabilité individuelle » n’améliorent pas la situation, bien au contraire. Ne vous méprenez pas, je considère que le droit à mener propre vie comme on l’entend est un élément central d’une société libre. L’histoire de l’Europe, à l’Est comme à l’Ouest, montre malheureusement trop clairement ce qui se passe lorsque cette ligne rouge n’est pas respectée. Seulement, la responsabilité individuelle ne peut pas servir de réponse aux crises mondiales. Elle n’a de sens que là où je peux effectivement avoir un impact en tant qu’individu. Et cela ne s’applique ni à l’inégalité globale, ni à la crise climatique, ni à la pandémie, ni à la guerre, ni à la crise énergétique. 

Nous sommes tous socialistes – au moins dans la crise ! 

La conjonction de plusieurs crises n’est pas un cas isolé dans l’histoire. En 1816, le volcan indonésien Tambora entre en éruption. Son gigantesque nuage de cendres obscurcit le globe entier et entraîne, dans une Europe déjà éprouvée par les guerres napoléoniennes, des pertes de récoltes, des maladies, la famine, la mort et des troubles. L’État moderne réagit, d’abord en Angleterre. D’une part, avec les débuts fragiles de la politique sociale, c’est-à-dire des programmes d’emploi. Et d’autre part, la mise en place et le développement d’infrastructures : évacuation des eaux usées et systèmes de canalisation, écoles, recherche et investissements dans la construction de routes pour le transport des marchandises. On commence à se rendre compte que l’État est la seule institution qui a la force de faire face aux crises fondamentales. Pas un État seulement capable d’écoper en période de tempête, mais un État fort et planificateur. Le même constat semble s’imposer à nouveau aujourd’hui. Tant les États-Unis que l’Europe, au lieu de faire confiance aveuglément à des marchés anonymes, pratiquent de nouveau une politique industrielle planifiée. Les groupes mondiaux comme Google, Apple et Amazon – qui sont depuis longtemps des États privés si l’on se réfère à leur importance économique et à leur poids politique – planifient de longue date sur des années, voire des décennies. L’humain planifie, quoi qu’il arrive. La seule question est de savoir si nous le faisons en tant que démocratie suisse ou si nous voulons laisser Washington, Bruxelles ou le capital s’en charger à notre place. 

Il y a peu, j’aurais été traité de communiste pour cette déclaration. Aujourd’hui, on devrait me reprocher d’être président du PLR, du Centre ou directeur de l’Union suisse des arts et métiers. Ces dernières semaines, voici entre autres ce qu’ils ont demandé : plus de planification étatique. Plus de planification dans le domaine des médicaments et de la santé, plus de subventions pour le secteur de l’énergie, moins de dépendance vis-à-vis de la Chine grâce à notre politique industrielle et au contrôle des investissements, retrait de la libéralisation du marché de l’électricité pour les gros clients. Comme l’aurait peut-être dit Milton Friedman à notre époque : en temps de crise, nous sommes tous socialistes.

Plus de service public, plus d’État social

Dire que la gauche veut toujours plus d’État et la droite toujours moins n’est rien de moins qu’une fable. La majorité de droite du Parlement fédéral ne cesse de développer l’État. Non seulement dans la surveillance policière des citoyennes et de citoyens, mais aussi lorsqu’il s’agit de protéger les intérêts du capital et des ses représentant-es. Des offices fédéraux entiers se consacrent principalement à la défense de ces intérêts, comme le Secrétariat d’État à l’économie, le Secrétariat d’État aux questions financières internationales, l’Office fédéral de l’agriculture ou l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle. À droite, personne ou presque ne remet en question cet « État fort ». La droite ne s’oppose généralement à l’État que là où il assure plus d’égalité et de démocratie, c’est-à-dire là où il limite le pouvoir du capital. Alors qu’elle s’évertue à nous dire « Jamais le socialisme ! », la droite pratique en réalité le « Oui, volontiers le socialisme, mais uniquement pour la branche au sein de laquelle j’ai une mission de lobbying ! » Et c’est précisément cela qui doit changer. 

Les crises dans lesquelles nous nous trouvons exigent que la politique se débarrasse de ses lunettes idéologiques et de ses perspectives étroites de lobbying. Nous avons maintenant besoin de plus d’État, pas de moins. Nous avons besoin d’un État pour toutes et tous. D’un État qui veille à ce que personne ne soit laissé pour compte. Plus d’État social donc, pour garantir que quelques-uns ne profitent pas encore plus de la crise alors que de nombreuses personnes y perdent gros. Celles et ceux qui veulent savoir ce qui se passe ailleurs peuvent jeter un coup d’œil aux sondages électoraux italiens. Nous avons besoin d’un État fort là où les initiatives individuelles ne peuvent plus faire face à l’ampleur du défi. Par exemple dans la lutte contre la catastrophe climatique qui menace. C’est précisément ce que propose le PS et ses organisations partenaires avec l’initiative pour un fonds climat. Espérons, pour une fois, que le progrès vers plus d’État social ne soit pas bloqué par des barrières idéologiques.