Ensemble, solidaires, nous sommes fortes !

Grève des femmes, Porrentruy, 14 juin 2019. Discours de Mathilde Crevoisier.

14 juin 1991. 500 000 femmes dans toute la Suisse descendent dans la rue.

Elles font du bruit pour revendiquer leurs droits. Pour avoir davantage de respect. Un meilleur salaire. Une meilleure reconnaissance de tout le travail qu’elles font.

28 ans plus tard, les lignes ont bougé, un peu : il y a eu la loi sur l’égalité, la dépénalisation de l’avortement, la reconnaissance du viol conjugal, et le congé maternité en 2004.

Les lignes ont bougé, oui, mais trop peu. Alors aujourd’hui, le 14 juin 2019, nous descendons à nouveau dans la rue.

Nous voulons plus d’argent.

Aujourd’hui, une femme gagne en moyenne 819 francs de moins qu’un homme. C’est inacceptable. Cet argent, il manque à la fin du mois, mais il manque aussi à la fin de la vie professionnelle : car à la retraite, le fossé se creuse encore et les pensions des femmes sont presque 40% inférieures à celle des hommes.

Pour avoir plus d’argent, les femmes doivent pouvoir accéder aux postes à responsabilité. Qu’on soit vendeuse, nettoyeuse, ouvrière, enseignante ou employée de bureau, le constat est le même partout : plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes se font rares.

Mais de meilleures conditions de travail ne suffisent pas.

Nous voulons plus de temps.

Il n’y a pas qu’au travail que les femmes sont pénalisées.

À la maison, elles se chargent encore de la majorité des tâches : s’occuper des enfants, faire le ménage, gérer la logistique et surtout, assumer la charge mentale. Pour concilier travail et vie de famille, il faut des places en crèche, et à un prix abordable.

Nous voulons un congé parental digne de ce nom. La Suisse, ce pays si riche, est bonne dernière en Europe en matière de politique familiale. Un congé maternité ridiculement court, et pas payé à 100%. Une protection insuffisante des femmes au retour de leur congé maternité. Et un Conseil fédéral qui vient de refuser deux semaine – deux malheureuses semaines – de congé paternité. Alors qu’en réalité, il en faudrait beaucoup plus : un congé parental digne de ce nom, c’est un congé de plusieurs semaines, réparti entre les deux parents, qui décharge les femmes, permet aux pères d’assumer leur rôle et aux enfants d’entrer dans la vie dans les meilleures conditions.

Nous voulons pouvoir travailler à temps partiel si nous le souhaitons. Et nous voulons aussi que nos mecs aient cette possibilité. Car tant que les femmes porteront une double, une triple charge, l’égalité de fait ne sera pas atteinte.

Nous voulons plus de respect

Parce qu’on en a marre des blagues sexistes à la pause-café. Qu’on s’est toutes et tous fait regarder de haut quand on a dit qu’on faisait grève aujourd’hui. Parce qu’être une femme, c’est encore et toujours jouer sur un terrain et selon des règles qui n’ont pas été conçues pour nous.

Alors aujourd’hui nous disons stop.

Pour notre grand-mère, dont la retraite ne lui permet pas de joindre les deux bouts.

Pour notre mère, qui n’avait pas le droit de vote quand elle est devenue majeure.

Pour notre voisine, qui n’a pas pu apprendre un métier et qui a un emploi mal payé.

Pour notre compagnon, qui aimerait bien travailler à temps partiel mais n’en a pas la possibilité.

Pour notre collègue, qui ne peut pas faire grève parce qu’elle risque de perdre son emploi si elle nous rejoint aujourd’hui.

Pour notre voisine migrante, parce que comme femme et comme étrangère, elle subit une double discrimination.

Pour notre meilleure amie, qui s’est fait virer au retour de son congé maternité.

Pour notre nièce, qui se fait harceler le samedi soir quand elle porte une jupe.

Pour notre fils, car c’est à nous de construire la société dans laquelle nous voulons le voir grandir.

Nous avons toutes, tous, dix raisons, mille raisons d’être là aujourd’hui. Moi je suis là pour ma fille, car je veux qu’elle connaisse ses droits. Et aussi parce que j’ai l’espoir, en vous voyant toutes ici, en voyant défiler des photos de toute la Suisse en violet sur les réseaux sociaux, que dans 28 ans, les raisons qui nous amènent dans la rue aujourd’hui seront plus un souvenir d’un autre siècle.

Alors faisons du bruit. Dérangeons, ne nous taisons pas. Ensemble, solidaires, nous sommes fortes.